Où, une fois encore, il va être question de savoir ce qui agite les frondaisons des arbres en forêt en l’absence de vent. Nulle perspective réaliste cynégétique dans ce papier. Les petits animaux de la forêt s’en tireront sans aucun mal (à moins de s’appeler les Happy Tree Friends ou les ignobles gloumoutes de la forêt de South Park, mais ceci est une autre histoire.) (TEXTE Julien Girault)
Il est un mythe nordique notable. Les guerriers s’illustrent par le combat s’ils veulent connaître une fin glorieuse. Tomber les armes à la main sur le champ de bataille leur offrira le séjour auquel tous aspirent dans le mythique paradis militaire du Walhalla où trône le roi des Dieux, Odin (ou Wotan selon les écrits germaniques.) Festoyer ne va qu’un temps pour cette déité qui, à la tête d’une armée de fantômes, n’a jamais renoncé aux privilèges de tout roi : la chasse. Nombreuses sont les légendes rapportant que certaines nuits se déchaînent dans les cieux ce qu’on appelle tantôt grande chasse, chasse fantastique ou chasse sauvage mené par l’infatigable dieu voyageur, Odin.
Le spectacle s’avère terrifiant pour le mortel. Pensez donc à une vision céleste d’une meute de chiens infernaux, suivis de près par une chevauchée de spectres montés sur des cavales étincelantes qui crachent le feu, donnant la courre à un cerf d’une taille exceptionnelle. Le vacarme est assourdissant, la détermination des chasseurs inébranlable. Il est déconseillé de croiser leur route, sans quoi le malheureux deviendra à son tour leur provende. Odin dans toute sa munificence et son insondable cruauté.
Le mythe est à ce point fondateur que le Christianisme a bien du mal à en effacer le souvenir. En Europe, nous relevons pas moins de 120 occurrences de ces chasses qui se diffusent en Suède, Danemark, Allemagne, Hollande, Espagne, Pays Basque, Italie et Royaume-Unis. La France n’est pas en reste, absorbant à elle seule près de 60 occurrences de la grande chasse selon les régions et les siècles. Le souvenir d’Odin est impérissable. Certes il n’existe plus en tant que tel, mais cela n’est d’aucune importance, celui-ci étant connu pour son caractère fondamentalement protéiforme. Même si on l’anonymise sous la forme du chasseur sauvage, on s’avère impuissant à le dépouiller de son pouvoir. Il est ce voyageur perpétuel à la poursuite inlassable de la connaissance et de la sagesse. Il souffle avec le vent ; il fait s’agiter les arbres pour libérer les idées. Il représente tout ce que le Dogme cherche à anéantir. On cherche à lui faire endosser les habits de maudit plutôt que de meneur. Il est celui qui néglige la messe pour chasser le cerf (qui de toute façon à toujours été un animal païen par excellence, célébré par des cultes interdits) condamné à une chasse volante perpétuelle pour son impiété. On parvient à dissiper son souvenir en rendant la chasse terrestre et en faisant du maudit un imprudent ayant pactisé avec le diable, condamné là encore à une chasse sans fin. On le prive de la demeure de son mythe, en oubliant qu’il est le mythe et que celui-ci n’a pas besoin de personnage principal.
Les mythes sont immortels, et celui-ci ne fait pas exception à la règle, s’enrichissant au fur et à mesure qu’il perdure. Il croise le chemin des Danses Macabres qui donneront un autre aspect à l’armée de spectres. Il s’empare des légendes régionales pour devenir Wilde Jäger en Alsace, Chasse de la Dame Moissey (oui, la Dame Blanche) en Franche Comté, Chasse Arthur (oui, le roi Arthur) en Bretagne, Chasse Hérode en Périgord, Chasse Gallery en Poitou, Chasse ou Mesnie (menée, chevauchée) Hellequin un peu partout sur le territoire…
Doué des mêmes talents de voyageur que sa figure originelle, il s’exporte dans le Nouveau Monde et s’y installe avec une aisance déconcertante. Les colons emportent avec eux la Chasse Gallery au Canada où il se maintient sous cette appellation et se recompose à travers les légendes des autochtones sous celle du Canoë Volant. Impossible à contenir, il traverse le grand ouest en même temps que les cow-boys, syncrétisant leurs superstitions à travers les Ghost Riders et les Wild Hunts.
Il n’a que faire d’une tradition crispante, et s’adapte sans problème aucun à l’ère du média roi, au 20ème siècle. Il est le Ghost Rider, renommé Phantom Rider, des comics Marvel. Il est le prédator du film éponyme, confrontant des soldats d’élite à des craintes millénaires. Il est The Witcher dans le jeu vidéo du même nom. Il est le duc Goga dans le roman Coldheart Canyon de Clive Barker, sous une forme très proche des légendes médiévales. Il est Voyageur dans la série American Gods. Il est la métaphore de la recherche de la connaissance pure et ne s’éteindra jamais.