C’est une histoire aussi vieille que l’humanité, un phénomène aussi régulier que les saisons. Son inexorabilité a presque quelque chose de rassurant. Son inévitabilité devrait engendrer beaucoup moins de craintes. (TEXTE Julien Girault)
Les migrations sont constitutives de notre physiologie. Le passage à la station bipède nous a appris à nous éloigner de notre point d’origine ; l’augmentation de notre boite crânienne nous aura poussé à concevoir l’ailleurs comme un embellie potentielle quand la situation présente est insupportable. L’expansion humaine ne s’explique pas autrement au cours de la préhistoire.
Les mobiles de la migration sont nombreux. Qu’ils soient économiques (recherche d’emploi), motivés par des raisons religieuses, politiques ou ethniques ou liés à un système de persécutions religieuses, ethniques ou encore à des guerres civiles, bientôt climatiques ou écologiques, tous ont pour dénominateur commun d’être involontaires ou forcés. Les migrations sont dans leur immense majorité contraintes. On est toujours mieux chez soi, pas de nécessité impérieuse d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte.
Migrant est un terme très générique, littéralement celui qui se déplace, dépourvu de connotations. Dés lors qu’on cherche à désigner une personne cherchant une protection contre les persécutions du fait d’une appartenance communautaire, de la religion, de la nationalité ou de ses opinions politiques, on lui préférera le terme de réfugié. Nulle autre motivation pour un réfugié que de chercher asile. A moins d’être un sociopathe, difficile d’être insensible à la souffrance humaine. Un réfugié n’est que souffrance. La trame de son existence a été déchiquetée. Ses pertes sont immenses et multiples : « elles sont d’ordre matériel (maisons, terres), corporel (blessures, maladies, handicaps, tortures), social (régression sociale, perte des services publics) et affectif (perte ou disparition des ses proches.) » Il ne perd pas contact avec son pays d’origine, mais la télévision n’a de cesse de lui rappeler « la destruction de son pays dans une situation d’injustice et solitude, accentuée par le sentiment d’abandon. »
Cela tombe sous le sens. Pourtant, nous venons d’entrer de plain pied dans une zone grise de tolérance. « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » L’antienne est connue. Faisons abstraction de la polémique sur ce qu’a réellement dit Michel Rocard en 1989. Considérons plutôt l’embarras que constituent les flux de migrants et de réfugiés pour la classe politique, tous bords confondus. Au delà de la lutte contre l’immigration clandestine, la régulation des flux est une problématique avant tout idéologique, car nationaliste, et par conséquent électorale. C’est une histoire française, que nous le voulions ou non. Et nos proches voisins européens ne font pas mieux que nous. Le réfugié découvrira dès son entrée sur le territoire français une vie sans comparaison aucune avec ce qui peut se passer en temps de guerre, mais le racisme et la xénophobie feront partie de son quotidien. C’est une histoire française, comme partout ailleurs. Nous avons été un pays de persécution, comme partout ailleurs. Après la Saint Barthélémy, combien de réfugiés ? Au cours du siècle des Lumières, les affaires Callas, Sirven et du Chevalier de la Barre ne témoignent pas non plus de la plus grande ouverture d’esprit. Ne manque plus qu’un contexte de terrorisme pour raffermir la crispation générale.
Nous n’avons rien contre les réfugiés de fait. C’est leur bagage religieux qui nous chagrine. En tout paradoxe. La guerre entretient la foi. « Beaucoup d’individus n’étaient pas spécialement religieux à la base avant la guerre, il croyaient davantage en l’être humain, mais lorsqu’ils ont vu ce que l’homme pouvait faire à l’homme, ils ont commencé à croire davantage en Dieu. » Quoi qu’on en dise, il est bien plus facile de transiger devant une loi divine que devant une rafale de mitraillette. Nos conseils d’intégration à l’encontre des réfugiés témoignent souvent d’une insupportable candeur. L’une des plus belles consistait à conseiller aux femmes de retirer leur voile. Les chrétiennes d’Orient n’en reviennent toujours pas, elles qui le portent en signent d’humilité envers la Vierge Marie. Une bévue parmi d’autres, significatives de notre ignorance des civilisations autres que la nôtre.
Parvenu à ce point, la question du « que faire ? » est depuis longtemps dépassé. Un traitement symptomatique n’aboutira pas à grand-chose. La diplomatie s’éteint lentement. L’humanisme a été enterré depuis longtemps, relégué injustement au rang d’un idéalisme niaiseux. La Méditerranée continuera à se transformer en cimetière, les frontières prendront des allures de murs infranchissables, et les communautés s’écharperont joyeusement. Si vous êtes d’humeur cynique, c’est le moment d’investir dans les entreprises d’armement, la valeur la plus sûre depuis que le premier australopithèque a ramassé un bout de bois pour en frapper son voisin. Toute notre histoire.